Michelin, matricule F276710

Jean-Michel Frixon, 61 ans, a fait toute sa carrière professionnelle chez Michelin à Clermont-Ferrand. Dans son livre bouleversant Michelin, matricule F276710 paru aux éditions Nombre7, il raconte les affres de la vie d’ouvrier.

Pour www.ecriremesmemoires.com, il a accepté de revenir, non pas sur son itinéraire, mais sur cette aventure de l’écriture qui a été pour lui une révélation.

Quand et pourquoi avez-vous décidé d’écrire votre livre ?

Jean-Michel FrixonQuand j’ai perdu mes parents, l’un de mes frères m’a appris des choses sur eux que j’ignorais. Cela m’a attristé. Du coup, j’ai décidé d’écrire pour mes deux grands enfants de 37 et 33 ans. Pour qu’ils sachent ce que j’ai vécu pendant ma carrière de 43 ans chez Michelin. Au départ, je pensais imprimer un document propre avec une reliure en plastique, comme un rapport. Juste pour eux

Finalement, vous l’avez publié très largement grâce à une maison d’édition. Que s’est-il passé ?

Je ne suis pas écrivain et je n’ai aucun diplôme. Alors pour m’assurer que ce que j’écrivais était intéressant, j’ai envoyé le début du manuscrit à mon frère qui est policier à la retraite et réside à Strasbourg. Après l’avoir lu, il était convaincu qu’il fallait que ça sorte du cercle familial et soit publié. Moi qui n’ai pas fait d’études, je n’en revenais pas ! Je n’y croyais pas.

Par curiosité, j’ai contacté une dizaine de maisons d’éditions et six d’entre elles m’ont proposé un contrat. Depuis la sortie du livre, l’aventure me dépasse, les médias m’invitent, les gens m’écrivent… C’est une vraie surprise. 

Regarder le témoignage de Jean-Michel Frixon sur Arte

– Comment expliquez-vous le succès de votre livre ?

– L’essentiel de mon livre parle des relations souvent compliquées entre les ouvriers et leur hiérarchie. Les dominations, les abus, les pressions… C’est ce que vivent beaucoup de gens dans leur travail. Comme cette femme qui m’a confié que c’était exactement ce qu’elle vivait dans son CHU : la tyrannie des chefs.

Plusieurs journalistes m’ont dit que je parlais au nom de tous ceux qui se taisaient, comme une sorte de porte-parole. Même si c’est totalement involontaire de ma part.

Quels sont les fruits de cette autobiographie ?

– Au cours de ces 43 années de vie professionnelle chez Michelin, il y a des hauts comme ma rencontre personnelle avec Monsieur Michelin qui m’a soutenu dans une course de marche athlétique.

Et des très bas, comme ce jour où on m’a licencié comme un chien avec des mots qui resteront gravés dans ma mémoire… Ce jour-là, j’ai été profondément humilié et blessé. Je n’oublierai jamais. Mais le fait d’écrire m’a apaisé. Écrire m’a fait du bien.  

> Pour découvrir d’autres fruits de l’écriture, lire l’article 7 bonnes raisons d’écrire ses mémoires

Comment avez-vous procédé pour écrire votre livre ?

Tout a commencé au début du premier confinement. J’ai écrit ce livre comme un “déroulant”, depuis mon premier jour d’embauche à l’âge de 17 ans jusqu’à mon licenciement. J’ai repassé le film de ma vie professionnelle.

Au début, j’ai commencé à écrire 10 pages sur grand cahier. Et puis quand j’ai vu le temps que je perdais ensuite pour le taper à l’ordinateur, j’ai décidé de travailler directement sur l’ordinateur !

Comment se déroulaient vos séances d’écriture ? 

– J’écrivais tous les jours, soit dans mon petit bureau, soit dans le salon. Très vite, je me suis aperçu que j’adorais écrire. Je m’y mettais après le déjeuner et je pouvais écrire quatre ou cinq heures d’affilé. J’étais totalement absorbé et pris par mon récit. Je ne voyais pas le temps passer.

Il m’est arrivé une ou deux fois de ne pas arriver à écrire. Alors je ne forçais pas les choses. Je recommençais le lendemain et ça repartait ! L’inspiration c’est une petite flamme. Tant que vous l’avez, il faut écrire ! Et si vous ne l’avez pas, inutile de forcer les choses.   

Jean Michel Frixon écrit ses mémoires

Comment avez-vous travaillé vos textes ? 

– Je faisais attention de rédiger le mieux possible tout en gardant des mots simples. J’ai utilisé un dictionnaire des synonymes pour éviter les répétitions. J’ai transcrit fidèlement chaque souvenir.

J’écrivais 10 ou 20 lignes puis je relisais et si ce n’était pas tout à fait juste, je réécrivais jusqu’à ce que cela me convienne. J’ai progressé palier par palier.  

J’ai écrit mon histoire comme un dialogue avec le lecteur. Souvent, je l’interpelle et l’interroge. Beaucoup de personnes m’ont dit qu’elles avaient l’impression que je leur parlais et qu’on passait un moment ensemble.  

– Comment avez-vous réactivé vos souvenirs ? 

Cela n’a pas été nécessaire. Tout était là. Depuis mon premier jour chez Michelin à 17 ans jusqu’à mon licenciement. Je n’avais rien oublié. J’avais tout enregistré. En écrivant, je n’avais qu’à dérouler. J’avais comme des flashs qui me revenaient au fur et à mesure.

– Quand on écrit on peut avoir peur de blesser les personnes. Comment avez-vous géré cette question ? 

Au début, j’avais utilisé les initiales de mes collègues et des personnes dont je parle. Mais mon éditeur m’a conseillé de changer les noms et prénoms de tous les personnages pour éviter tout problème. Même de ceux que j’encense. J’aurais dû le faire dès le début car j’y ai passé 5h30 !

> Pour aller plus loin, lire Comment écrire ses mémoires en six étapes

Lire un extrait du livre de Jean-Michel Frixon

Les maîtres « Capelovici », les inconditionnels de la syntaxe académique ou tout bonnement les lecteurs amoureux de la langue française, sauront faire preuve de mansuétude à mon égard, car je sais qu’il reste vraisemblablement quelques coquilles orthographiques et grammaticales dans mon texte, et j’en suis désolé par avance. Ces personnes tiendront certainement compte du fait que je suis issu du monde ouvrier, où les effets de style et envolées littéraires ne sont pas de mises, et où l’occasion de rencontrer de nombreux cadres et collègues de travail imprégnés de la lecture des romans de Victor Hugo, Gustave Flaubert, ou J.M.G. Le Clézio, sont à la marge. Personnellement, je n’en ai jamais vu.

Retraité depuis peu, et pourvu d’une bonne expérience de la vie, je suis pourtant néophyte dans l’art d’écrire. En effet, j’ai découvert tardivement une nouvelle expérience : celle de la plume qui, à l’instar de la musique, de la peinture ou de la sculpture, déclenche certainement la même sensation de plaisir, d’émotion et de créativité. De même, j’ai appris que l’inspiration est aussi fluctuante qu’une action en bourse et ce, d’une journée à l’autre. J’ai également constaté que l’écriture est une leçon de ténacité, et qu’elle ne quitte votre esprit qu’à la dernière lettre du mot… fin. J’en veux pour preuve, que lors de mes footings quotidiens, au gré de mes foulées, venaient à mon esprit des sujets de chapitre à vous écrire ! J’avais beau courir le plus vite possible, mon livre me rattrapait avec une aisance à faire pâlir les meilleurs marathoniens ! En résumé, l’autodidacte que je suis, a essayé tout simplement de provoquer une rencontre, entre vous et moi…

Ainsi, en qualité d’ouvrier, je tenais à vous faire découvrir mon parcours professionnel fort de 43 années, dans l’antre de l’une des plus importantes entreprises mondiales, la Manufacture Française des Pneumatiques Michelin. Par avance, je tiens à préciser que ce livre n’est en aucun cas un contentieux envers une entité ou des personnes. Je me suis efforcé de respecter au plus près ce point important à mes yeux. Mon but est de vous faire découvrir ma vie d’ouvrier au sein de cette entreprise. Écrire et décrire en toute impartialité. Votre point de vue sera le meilleur arbitre…

En effet, chaque lieu, chaque scène, chaque personnage que vous allez découvrir, a été dépeint en toute authenticité. Rien n’a été inventé ou enjolivé afin de renvoyer un écrit plus fort ou plus intense, pour en espérer un meilleur effet. Tout est absolument vrai. La réalité des situations évoquées ici n’est, je pense, nullement l’exclusivité de l’entreprise Michelin. Vraisemblablement, sont-elles toutes présentes dans n’importe quelle autre société en France ou dans le monde.

Je vous convie donc, à m’accompagner sur mon GR professionnel, en vue de partager un grand voyage entrecoupé d’étapes. La topographie des parcours sera des plus variées, passant du sol plat à vallonné, jusqu’à des sentiers plus pentus. Aussi, en tant que guide, je suis assuré que certains panoramas vous surprendront, d’autres vous saisiront. Tout du moins, je l’espère. C’est pourquoi, ajustez bien votre sac à dos, lacez bien vos chaussures, tout en espérant ne pas vous lasser… de mon écriture !

Pour clore ce préambule, j’aimerais citer une pensée de l’écrivain Robert Sabatier, qui résume à elle seule, tout l’esprit de ma démarche dans l’écriture de ce livre.

« Écrire, c’est lire en soi, pour écrire à l’autre… »

Comment s’est déroulé le travail de relecture ? 

– Faire la chasse aux répétitions, corriger les fautes de grammaire ou d’orthographe, revoir la construction de certains phrases… C’est un gros travail qui a duré deux mois. Ma femme et mon frère m’ont énormément aidé.   

– Que diriez-vous à une personne qui envisage d’écrire ses mémoires ? 

Si vous êtes motivé, essayez ! Faites-vous plaisir. L’écriture va vous faire découvrir beaucoup de choses sur vous-même. C’est une découverte de soi. Et puis, de toutes les façons, l’écriture ne vous lâchera pas tant que vous n’aurez pas écrit le mot “fin” de votre livre.

– Qu’avez-vous découvert sur vous-même grâce à votre livre ? 

Je ne suis pas écrivain et je n’ai pas fait d’études. Je n’ai aucune prétention. Mais j’ai découvert que j’aime écrire. Et lorsque des lecteurs me partagent leurs impressions, ils disent que j’ai un certain talent. Mon style est fluide et facile à lire. Ça me touche beaucoup.

Beaucoup de gens me disent que j’écris comme je parle et qu’ils ont l’impression d’être avec moi lorsqu’ils lisent. Ils ont l’impression d’avoir une discussion avec moi. Pour moi, cette proximité, c’est la plus belle des récompenses.  

Recueilli par Sylvain Sismondi

À lire : Michelin Matricule F276710, Jean-Michel Frixon, éditions 7   

2 Commentaires

  1. Je viens d’entendre Mr Fruxin et son récit m’a passionné. Il a les mots justes pour parler de cette vie d’usine tellement éprouvante.
    J’ai entendu une phrase mais je n’ai pas eu le temps de l’écrire. Pouvez vous m’aider svp?
    Les ouvriers font…
    Et les cadres…
    Merci pour votre réponse.

    Réponse
    • Je vous avoue que je n’entends pas bien non plus… Dans un autre reportage sur la vie des ouvriers à la chaine (chez Renault cette fois-ci), l’un des ouvriers dit cette phrase : « Ah oui, la course de la mondialisation ? C’est toujours la même chose : nous (les ouvriers) on court et eux (les cadres), ils tiennent le chrono. On court pas dans le même sens. » Très fort.
      Voici le lien vers la vidéo : https://www.ina.fr/video/I04225010

      Réponse

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