Ou quand l’écriture devient jeu d’équilibre

Comment écrire sa vérité sans blesser les autres ?

Écrire sur soi, c’est inévitablement toucher à la vie des autres. Impossible de rédiger sa propre histoire sans relater l’attitude d’un ami, partager son ressenti sur un événement passé, décrire la personnalité d’un proche, donner son avis sur une situation…

Écrire, c’est s’engager, prendre parti, se dire par rapport au monde et par rapport aux autres. C’est aussi prendre le risque de blesser des personnes qu’on aime, de réveiller des vieilles blessures, de froisser des susceptibilités…

Alors, comment aborder un sujet délicat dans son autobiographie ? Comment écrire sa vérité sans blesser les autres ? Voici quelques pistes pour être plus serein face à ces questions qui vous empêchent peut-être de mettre en route votre projet d’écriture ou de le poursuivre.

 

Intro. Des situations compliquées et des personnes explosives !

ecrire sur des situations compliquées

 Un champ de mines. C’est la première image qui vous vient à l’esprit quand vous repensez à cet épisode important de votre vie.

D’ailleurs, à chaque fois que vous en parlez en famille, l’ambiance est électrique et la discussion tourne invariablement au drame. À tel point que désormais, il est implicitement convenu de ne plus aborder ce sujet devenu tabou.

Pourtant, c’est un événement important dans votre parcours. Le passer sous silence ferait perdre tout son sens à votre récit de vie. Alors comment faire pour raconter ce qui s’est passé sans réveiller les vieux démons ? Cette question vous taraude. 

De plus, à bien y réfléchir, votre entourage ne vous semble « pas prêt » voire « inadapté » à recevoir votre vérité. Entre ceux qui se ferment comme des huitres pour un rien et ceux qui partent au quart de tour à la moindre remarque, vous avez peur de faire des blessés collatéraux… et ce n’est clairement pas le but de votre livre !

Résultat ? Vous vous sentez peut-être pris(e) au piège et vous ne savez pas comment faire. Alors, comment écrire sa vérité sans blesser les autres ?

1. Exprimez vos craintes et partagez vos questionnements

Soyez courtois. Si vous abordez un sujet explosif dans votre récit, efforcez-vous de partager à vos lecteurs – avec la plus grande sincérité – vos peurs, vos réticences et vos raisons d’écrire. C’est un moyen redoutablement efficace de désamorcer le conflit potentiel et écrire sa vérité sans blesser les autres.

Ces égards envers les personnes concernées vont générer de l’empathie et aider ces « lecteurs à risque » à comprendre en profondeur qui vous êtes, quelle est votre intention profonde et quel est le sens de votre démarche. Voici quelques pistes :

« Je sais que cet événement a été vécu de façon radicalement différente par les personnes concernées. J’ai conscience que c’est un sujet douloureux, sensible et je n’ai aucune envie de raviver cette vieille blessure.

Mon intention n’est pas de prendre position, de juger ou de me venger. Si j’ai besoin d’en parler aujourd’hui c’est parce que (expliquez vos raisons personnelles). Voici, avec toute la subjectivité que cela implique, comment j’ai vécu cet événement et quelles en ont été les conséquences dans ma vie. » 

C’est avec cette délicatesse que Jean-Michel Frixon * ouvre son livre Michelin, matricule F276710. En quelques phrases toutes simples, il prépare les lecteurs qui pourraient s’offusquer. Il leur tend la main et leur propose d’entrer en amitié :

« Les maîtres « Capelovici », les inconditionnels de la syntaxe académique ou tout bonnement les lecteurs amoureux de la langue française, sauront faire preuve de mansuétude à mon égard, car je sais qu’il reste vraisemblablement quelques coquilles orthographiques et grammaticales dans mon texte, et j’en suis désolé par avance.

Ces personnes tiendront certainement compte du fait que je suis issu du monde ouvrier, où les effets de style et envolées littéraires ne sont pas de mises, et où l’occasion de rencontrer de nombreux cadres et collègues de travail imprégnés de la lecture des romans de Victor Hugo, Gustave Flaubert, ou J.M.G. Le Clézio, sont à la marge. Personnellement, je n’en ai jamais vu. »

Et d’ajouter quelques lignes plus tard : « Par avance, je tiens à préciser que ce livre n’est en aucun cas un contentieux envers une entité ou des personnes. Je me suis efforcé de respecter au plus près ce point important à mes yeux. Mon but est de vous faire découvrir ma vie d’ouvrier au sein de cette entreprise. Écrire et décrire en toute impartialité. »

* Lire l’entretien avec Jean-Michel Frixon.

 

ouvrir les portes

3. Jouez la transparence

Une certaine prévenance met tout de suite le lecteur dans les conditions d’une meilleure écoute et une meilleure réception de votre récit. Tout au long et à la fin du passage sensible que vous écrivez, soyez transparent. Jouez la carte de la vérité d’un bout à l’autre de votre récit.

Faites part de vos tourments, vos inquiétudes, vos doutes au moment d’écrire tel ou tel passage… Partagez les pensées et les émotions qui vous traversent. Cette façon de mettre en avant ce que vous vivez en tant qu’auteur, votre fragilité, va rendre plus audible certains de vos propos peut-être difficile à entendre. 

« Au moment où j’écris ces mots, je me rends bien compte que cela risque de blesser. Si c’est le cas, je m’en excuse et j’espère que cela ne portera pas préjudice à nos relations. De mon côté, je n’ai ni jugement, ni rancœur. Mais un réel besoin de raconter ce qui m’est arrivé à ce moment-là… » 

Rappelez également qu’écrire ses mémoires ou l’histoire de sa vie est un travail de sincérité, de vérité qui vous « oblige » à dire et à révéler, par honnêteté et respect avec le pacte autobiographique scellé avec votre lecteur. Et que les « dommages collatéraux » sont pour ainsi dire inévitables. Qu’au fond, écrire sa vérité sans blesser les autres ne peut pas être le premier objectif de votre livre… Voici comme Delphine de Vigan l’explique dans son livre Rien ne s’oppose à la nuit :

« Écrire sur sa famille est sans aucun doute le moyen le plus sûr de se fâcher avec elle. Les frères et sœurs de Lucile (sa mère) n’ont aucune envie de lire ce que je viens de retranscrire ni ce que je m’apprête éventuellement à en dire, je le sens dans la tension qui entoure maintenant mon projet et la certitude que j’ai de les blesser me perturbe plus qu’aucune autre. (…) Dès lors que je tente de tente de m’approcher de Lucile, je ne peux faire l’économie des relations qu’elle a eues avec son père, ou plutôt qu’il a eue avec elle. Je me dois au minimum de poser la question. Or la question n’est pas indolore. Je tire à bout portant et je le sais. » 

Partagez ce que vous avez sur le cœur et veillez également à formuler ce que vous attendez. Par exemple, comment, dans l’idéal, vous souhaiteriez que vos lecteurs réagissent, ou bien comment vous imaginez vos relations une fois cette vérité mise à jour.

« J’espère qu’après ce dernier aveu, nos liens seront plus vrais et plus forts. Que libérés de ces non-dits qui pèsent sur notre famille, nous pourrons enfin… »

Il est essentiel d’ouvrir des portes dans votre récit. Aidez votre lecteur à se projeter dans une autre attitude que celle qu’il adopte habituellement. Ou que vous craignez qu’il adopte. Ouvrez-lui des possibles par rapport à cette situation dont il est peut-être prisonnier.

4. Évitez le prêt-à-penser et le prêt-à-écrire

Dans l’écriture, les pièges sont nombreux. L’un d’eux consiste à recourir à des expressions toutes faites qui donnent l’impression de bien écrire, alors qu’au contraire, elles affadissent votre propos.

Pire encore, elles risquent de dénaturer et transformer maladroitement des passages délicats où les susceptibilités des uns et des autres sont en jeu. Et cela risque de vous retomber dessus !

Au contraire, pour écrire votre vérité sans blesser les autres, utilisez des mots précis et justes qui conviennent parfaitement à l’expression de votre pensée. Prenez grand soin de la forme de votre expression. 

À ce sujet, dans son interview, Évelyne Durin confie :  

« J’ai mis toute la dignité qu’il fallait garder dans la narration de cette histoire. J’ai mis beaucoup de temps à choisir mes mots pour ne heurter personne. Il faut faire attention à ce que l’on dit sur les personnes.

Pour écrire son autobiographie, il faut être discret, pudique et en même temps, dire la vérité. C’est un travail en profondeur. Il faut se poser. On ne peut pas écrire d’un trait. »

ecrire ses blesser les autres

 5. Suivez ces 7 conseils pour écrire votre vérité sans blesser les autres

Très concrètement, voici les 7 points sur lesquels vous devez être attentifs.

1 – Adoptez la bonne attitude. Évelyne parle de « dignité ». Il s’agit d’une juste retenue, une légère distance inspirant un certain respect. L’humilité est également essentielle pour aborder les passages délicats. Dites votre vérité, celle que vous avez vécue, tout en étant petit et humble. Ayez conscience de vos limites, de vos faiblesses, et manifestez-le par une attitude volontairement modeste.

2 – Lâchez-vous quand vous écrivez votre premier jet. Si vous évoquez une période sensible, il est fort possible que de puissants sentiments vous animent à la seule pensée de ce qui s’est passé, même des années après. Vous risquez donc d’écrire votre premier jet sous le coup de l’émotion, sans “contrôler” ce qui sort. C’est très bien ! Lâchez-vous. C’est libérant et vous permet d’être au plus près de l’émotion que vous portez. C’est un matière brute excellente pour votre récit. Pour une fois, accordez-vous ce droit de tout mettre noir sur blanc sans aucune autocensure ! Vous retravaillerez votre texte ensuite.

3 – Prenez votre temps. Lorsque vous devez écrire un passage sensible, n’ayez pas peur d’y passer du temps et d’y revenir à plusieurs reprises. Écrivez un premier jet puis passez à autre chose. Revenez-y le lendemain matin. Vous serez surpris de voir à quel point, après une nuit de sommeil, vous êtes lucide sur votre propre texte. Vous allez sentir avec une grande acuité ce qui est “juste” et ce qui ne l’est pas.

4 Soyez précis. Relecture après relecture, affinez votre récit, choisissez des mots toujours plus précis. Un peu à la façon d’un costume vous essayez plusieurs fois et que la couturière retouche jusqu’à ce qu’il épouse parfaitement votre silhouette. De même, reprenez votre texte jusqu’à ce qu’il vous semble exprimer parfaitement ce que vous souhaitez transmettre. Plus votre texte sera juste pour vous, au plus près de votre vérité, plus vous vous sentirez libéré de ces angoisses quant aux réactions des personnes concernées. Paradoxalement, écrire sa vérité sans blesser les autres est d’abord un appel à être le plus fidèle possible à ce que l’on ressent soi-même en tant qu’auteur et ce que l’on souhaite exprimer.  

5 – Expliquez généreusement. L’écriture a possède un avantage incomparable : elle vous donne le temps d’expliquer en détails votre pensée, votre position, votre vécu. Ce qui est très difficile à l’oral. N’ayant pas la possibilité de vous répondre directement, le lecteur a, naturellement, une plus grande disponibilité intérieure pour vous écouter et qui sait, vous comprendre vraiment. Profitez-en pour expliquer largement et avec précision votre point de vue. Il sera davantage compris et accepté. Et certainement moins blessant pour les personnes concernées.

 6 – Faites-vous relire. N’hésitez pas à recourir à un œil extérieur qui n’a pas de lien affectif trop fort avec vous et n’est pas impliqué, ni de près ni de loin, dans votre récit. Il pourra vous dire comment il ressent les choses et vous pourrez aussi lui faire part de vos angoisses. Le partage sera fort riche et instructif !

7 – Acceptez que vous ne contrôlez pas tout. Que la réaction des autres ne vous appartient pas. Soyez fidèle à vous-même et à cette boussole intérieure qui vous a conduit à commencer votre projet d’écriture. Si vous avez besoin de mettre à jour cette histoire, de partager votre ressenti sur un événement passé, c’est que vous en avez besoin. Par ailleurs, ne perdez pas de vue que ce travail de vérité sera très positif sur le long terme. Courage ! La vérité libère.

6. Ne prenez pas trop de risques !

ecrire son autobiographie diffamation

Écrire sa vérité sans blesser les autres est une chose. Prendre de véritables risques en disant la vérité en est une autre. Si votre récit implique des personnes qui peuvent très mal réagir, soyez vigilant. N’oubliez pas qu’en France, la vie privée est sacrée et que faire des révélations sur quelqu’un d’autre vous expose à des sanctions.

En effet, l’article 9 du Code civil réprime la diffamation et l’injure sur n’importe quel écrit publié sur papier ou sur le Web dès lors que les personnes réelles sont identifiables.

Une façon d’éviter les problèmes est donc de rendre la ou les personne(s) concernée(s) méconnaissable(s) dans votre récit. Changez les noms, la position dans la famille, les lieux de naissance, les descriptions physiques !!! Changez tout et ne gardez finalement que ce qui vous est arrivé à vous.  

Si cette question délicate concerne votre projet d’écriture, n’hésitez pas à consulter un avocat ou un spécialiste pour en parler. C’est important.

Sur ce sujet, je vous recommande de lire cet article de l’Express.

Voilà. Vous avez toutes les cartes en main pour aller de l’avant.

Ne vous laissez pas paralyser par le regard des autres et par vos peurs de blesser des personnes.

Encore une fois, écrivez et vous verrez que la situation se débloquera plus naturellement que vous ne l’imaginez. À vos plumes !

Cet article est évidemment incomplet car il est impossible de proposer des réponses générales à des situations qui, par essence, s’étudient au cas par cas. Il s’agit avant tout de pistes qui peuvent vous aider. Devant des situations compliquées, ne restez pas seul. En parler avec d’autres vous aidera à y voir plus clair.

Si certains parmi vous ont déjà été confronté à ces questions, votre expérience peut aider beaucoup de personnes. Dans ce cas, je vous remercie d’ajouter un commentaire ci-dessous qui viendra compléter l’article.

Sylvain Sismondi