Écrire sur un proche…
Je ne sais plus quand est venue l’idée d’écrire sur ma mère, autour d’elle, ou à partir d’elle, je sais combien j’ai refusé cette idée, je l’ai tenue à distance, le plus longtemps possible, dressant la liste des innombrables auteurs qui avaient écrit sur la leur, des plus anciens aux plus récents, histoire de me prouver combien le terrain était miné et le sujet galvaudé, j’ai chassé les phrases qui me venaient au petit matin ou au détour d’un souvenir, autant de débuts de romans sous toutes les formes possibles dont je ne voulais pas entendre le premier mot, j’ai établi la liste des obstacles qui ne manqueraient pas de se présenter à moi et des risques non mesurables que j’encourais à entreprendre un tel chantier.
Ma mère constituait un champ trop vaste, trop sombre, trop désespéré : trop casse-gueule en résumé.
(…) Je ne sais plus à quel moment j’ai capitulé, peut-être le jour où j’ai compris combien l’écriture, mon écriture, était liée à elle, à ses fictions, ces moments de délire où la vie lui était devenue si lourde qu’il lui avait fallu s’en échapper, où sa douleur n’avait pu s’exprimer que par la fable.
Extrait de Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, Poche.
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