Ou comment donner plus de plaisir à votre lecteur
Nous sommes en mars 1999. J’effectue un stage de fin d’études en presse écrite dans un hebdomadaire spécialisé.
Cet après-midi-là, je suis dans la salle de rédaction. Le ventre noué. Dans l’attente du verdict.
L’article que j’ai mis plusieurs heures à écrire est entre les mains du rédacteur en chef, dans le bureau d’en face. Planqué derrière un vieux PC qui vit probablement ses dernières heures mais rend encore de bons et loyaux services, je fais mine de travailler.
En réalité, je scrute les réactions du chef. Son bureau est doté d’une grande baie vitrée légèrement teintée qui donne sur le couloir. On voit tout, mais on n’entend rien. Dans cette sorte d’aquarium, ancêtre de l’open-space, je le vois s’agiter…
« Zut, ça recommence… » L’ami se met à griffonner nerveusement avec son stylo rouge sur ma délicate production. « Qu’ai-je encore fait ?» Il m’appelle. J’arrive illico. J’ai 22 ans mais j’ai l’impression d’en avoir 8 ! Quelle note le maitre m’a-t-il mis ?
« Sylvain. Ton papier est pas mal. Mais arrête de passer à ton temps à expliquer au lecteur ce qu’il doit comprendre de lui-même. Donne-lui des couleurs, des sons, des odeurs, des attitudes… montre-lui et décris-lui la réalité. Mais, de grâce, laisse-lui tirer ses propres conclusions. Honore son intelligence. Ton lecteur a envie et besoin de réfléchir. Contente-toi de lui donner de la bonne matière pour nourrir son imagination et sa réflexion. C’est bien plus fort et intéressant. »
Un principe simple et efficace
De fait, si vous prenez l’habitude de « montrer au lieu d’expliquer » votre style va gagner en attractivité et en proximité. Résultat ? L’expérience que vivra votre lecteur en lisant votre livre sera bien plus forte et plus marquante.
Dès que vous le pouvez, décrivez, donnez à voir, à entendre, à sentir, à toucher mais ne dites rien ! Ne dévoilez rien. Ne déflorez pas l’expérience du lecteur. Laissez-le se représenter les choses, les imaginer, les comprendre, en tirer des conclusions, faire des hypothèses…
Prenons un exemple. Dans votre autobiographie, au lieu de dire que votre cousin est colérique, efforcez-vous de donner des éléments et des détails qui le montrent.
Pour cela, voici comment vous pouvez procéder.
1. Choisissez des souvenirs parlants
Votre cousin a-t-il des habitudes singulières et signifiantes à ce sujet ?
Avez-vous une histoire particulièrement forte à raconter qui illustre bien son tempérament colérique ?
Vous souvenez-vous de petites anecdotes percutantes ?
2. Explorez les champs lexicaux
Si vous y réfléchissez ne serait-ce que quelques instants, vous verrez qu’il existe un grand nombre de mots ayant trait à la colère. En voici quelques exemples :
Des verbes
(S’)affliger, (s’)agacer, (s’)aigrir, blesser, bouillonner, (se) brouiller, (se) cabrer, chagriner, contrarier, crier, hurler, se déchaîner, détester, embêter, s’emporter, ennuyer, enrager, (s’)exciter, exaspérer, exploser, (se) fâcher, fulminer, geindre, gronder, gueuler, haïr, heurter, humilier, (s’)impatienter, (s’)indigner, injurier, (s’)irriter, invectiver, maugréer et beaucoup d’autres verbes !
Des noms
Acharnement, amertume, agitation, agressivité, aigreur, animosité, bouillonnement, bourrasque, brutalité, coup de sang, courroux, crise, déchaînement, démence, démesure, ébullition, effervescence, emportement, exaltation, exaspération, excitation, explosion, fâcherie, férocité, feu, folie, foudre, frénésie, fulmination, fureur, furie et beaucoup d’autres noms !
Des adjectifs
Agressif, aigre, âpre, ardent, atrabilaire, belliqueux, bouillant, bouillonnant, brusque, brutal, cassant, chaud, coléreux, colérique, convulsif, criard, cru, cruel, dangereux, déchaîné, dément, démesuré, difficile, effréné, emporté, énergique, enflammé, enragé, excessif, explosif, extrême, farouche, fébrile, féroce, fiévreux, fou, fougueux et bien d’autres adjectifs.
Rien qu’en vous remémorant l’immense les champs lexicaux relatifs à la colère, vous verrez qu’une foule de phrases surgiront d’elles-mêmes ! Des phrases qui montrent et qui suggère sans pour autant dévoiler.
3. Transformez vos affirmations et vos explications
Maintenant, prenez cette nouvelle habitude : quand vous écrivez, montrez plutôt au lieu d’expliquer. Lorsque vous lisez, repérez également les messages et les intentions que les auteurs parviennent à transmettre en se contentant de décrire des personnages, des situations etc.
Gardez bien en tête que votre livre, même s’il s’agit de vos mémoires ou votre autobiographie est avant tout un dialogue avec votre lecteur.
Qu’est-il en train de penser quand vous écrivez telle ou telle phrase ? Quelles vont être ses réactions ? Comment pouvez-vous lui suggérer adroitement telle ou telle idée sans pour autant la dévoiler ?
Faites honneur à votre lecteur. Et ils vous en sera reconnaissant.