Dans cet entretien intime et profond, Sophie Grégoire nous ouvre les portes de son univers intérieur à travers l’écriture autobiographique. Elle partage sa vision de ce travail d’introspection comme une métamorphose intime, où chaque mot devient un chemin vers la guérison, la mémoire et l’immortalité des émotions et des êtres.

Plus qu’un simple récit de vie, son autobiographie est une véritable quête de sens, une invitation à reconnecter avec l’authenticité et à célébrer la vulnérabilité. Découvrez aussi quelles ont été les étapes de ce travail de mémoire, les défis et les joies rencontrées en chemin.

” S’autoriser à être « publiquement » qui on est en vérité, est un acte d’amour de soi extrêmement puissant.” Sophie Grégoire

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l’écriture autobiographique ? Et d’écrire votre autobiographie ?

Ma motivation principale dans cet exercice était de revenir sur des phases, des transitions qui ont été significatives voire fondatrices pour moi. Ecrire sur sa vie, c’est un peu revenir sur son propre chaos pour en faire de l’art. C’est un processus alchimique.

Revenir ou revivre ses expériences, c’est une façon de se connecter aux autres mais aussi de faire durer plus longtemps ce qu’on a vécu. Ecrire, c’est rendre des instants, des émotions, des personnages — éternels. C’est leur donner de l’importance.

C’est peindre ces photos que nous avons dans notre mémoire en véritables tableaux, qui restent, que l’on peut accrocher aux murs. Peut-être pour moi, l’écriture sacralise un événement ou une période. Ou un amour. Il n’est plus une suite de secondes et de minutes déjà dérobées mais quelque chose qui résistera à l’érosion des choses, des gens, du temps.

J’aime à croire que les moments clefs de nos vies, même s’ils sont terminés à l’instant suivant, restent quelque part. Ecrire pour moi c’est garder une trace. Je crois qu’un récit autobiographique est un peu comme un monument à la mémoire des choses et des êtres qui comptent ou ont compté.

Ecrire c’est se souvenir. C’est aussi faire le bilan avant la phase d’après.
La vie nous chamboule si nous la percevons comme un processus créatif et d’actualisation constant. Alors elle nous prend, telle une tempête parfois. Elle nous déplace sans même qu’on ait le temps de penser, de comprendre. Plus tard on est sur le rivage, au sec et on se dit : voilà ce qui s’est passé.

Revenir sur le passé est une occasion de le revivre, de le savourer à nouveau, peut-être de le décrire avec un esprit plus mature, plus de recul. Revenir sur mes expériences à travers l’écriture autobiographique m’a permis d’ériger certaines personnes de mon entourage en héros de roman.

A travers le récit, les disparus ne sont plus anonymes. Ils sont encore là. Connaissez-vous ce proverbe mexicain ? « Une personne meurt trois fois. La première, est le jour où cette personne comprend qu’elle est mortelle. La seconde est le jour de sa propre mort. La troisième, est la dernière fois où l’on prononce son nom ». Cela me touche et m’a toujours inspirée. Des personnages clefs de ma vie, comme ma grand-mère par exemple, sont toujours là, pour moi, à travers les mots. Grâce à ce texte, elles vont être découvertes par de nouveaux individus. Elles ne sont pas parties en fait.

Nous leur offrons une seconde vie, une permanence dans l’intemporel. Les mots, pour moi, c’est la vie au-delà du temps. Ecrire sur les personnes que l’on a aimées est pour moi une superbe façon de leur rendre hommage.

J’apprécie beaucoup cette citation d’Anaïs Nin à ce propos, elle me parle en profondeur : “Nous écrivons pour goûter la vie deux fois, sur le moment et après coup. Nous écrivons, comme Proust, pour la rendre éternelle, et pour nous persuader qu’elle est éternelle.”

Mes écrits autobiographiques, c’est la boite à trésors de mon cœur. C’est également un don honnête de soi aux autres. J’écris en vulnérabilité, en intimité totale avec moi-même. Je ne peux écrire que si je me replace dans l’émotion du moment, dans la photo de son souvenir.

Ainsi l’écriture autobiographique est totale dans le sens où elle n’omet rien. Je ne cherche pas à transformer par l’écriture. J’ai compris que seule la réelle vulnérabilité connecte vraiment aux autres. Aide, console, inspire, résonne, rapproche. Ecrire mon autobiographie c’est une façon de me livrer pleinement au monde, un acte qui dit « voilà qui je suis, voilà les expériences, les moments, qui m’ont façonnée ».

Si ce texte aide ou appuie autrui, c’est ma plus grande joie. Mais l’artiste je crois ne doit pas faire de l’art dans ce but si cela implique de dénaturer son propos.

Il y a quelque chose qui doit rester pur dans l’art de cette écriture. L’artiste doit être lui — lui-même. Ne pas jouer avec son intériorité pour obtenir quelque chose de l’extérieur. Ne pas trahir l’émotion, les honnêtes couleurs de la vie. Seules les voix justes ouvrent les portes qui sont censées s’ouvrir chez les autres. 

> A lire sur le même sujet : Comment écrire son autobiographie

Sophie Gregoire explique l'écriture autobiographique

Comment avez-vous structuré votre récit et les événements à inclure ou exclure ?

Le récit est structuré assez simplement, c’est-à-dire par ordre chronologique. Il commence par la date de ma naissance pour refaire un point sur mon enfance et mes racines, puis avance dans le temps.

Néanmoins, il n’est pas linéaire dans le sens où uniquement les périodes que je considère comme clefs sur mon parcours sont évoquées. Le récit est en réalité une suite de focus successifs sur les périodes majeures – celles qui sont fondatrices pour la suite.

Ainsi j’évoque notamment la phase de mon départ au Cambodge qui est structurante, celle du premier développement de mes écrits, etc.

Ainsi le récit ne comprend pas tout. Il est sélectif. Je pense qu’en tant qu’auteur autobiographique nous pouvons sélectionner avec le recul ce qui fut capital.

Cela fait partie de l’écriture autobiographique de notre parcours, qui est en fait une réécriture puisqu’il a déjà eu lieu : qu’est-ce qui fut réellement socle ? Seul le recul permet vraiment de déterminer cela.
Le texte devient une incarnation de notre monde interne : à nous de voir ce qui a permis de le constituer, de l’établir tel qu’il est maintenant.

Ces phrases mettent en lumière les aspects essentiels de la structure du récit, tout en soulignant l’importance de la sélection des événements avec du recul.

Pas vraiment. 

Quels défis liés à l’écriture autobiographie avez-vous rencontrés, et comment les avez-vous surmontés  ?

J’ai rencontré un défi majeur en ce qui concerne la longueur du texte. Un texte a-t-il besoin d’être long pour être réellement riche ? Jusqu’à quel point doit-on détailler, préciser ? Finalement, je me suis rendue compte qu’il est nécessaire de tout simplement se faire confiance : lorsqu’on ressent que c’est bon, qu’on est allé suffisamment loin pour soi, alors c’est le cas, que le texte paraisse aux autres trop court ou trop long.

L’ écriture autobiographique est un retour vers soi – il demande à l’auteur d’acquérir une réelle confiance en sa façon de raconter les choses.
Peut-être l’entourage se rappelle d’une période et l’a vécue différemment, mais il appartient à l’auteur de déterminer son sens et la place que cette partie est censée prendre pour lui.

« Ce n’est pas l’encre qui fait l’écriture, c’est la voix, la vérité solitaire de la voix, l’hémorragie de vérité au ventre de la voix » – Christian Bobin.

Bien sûr, il y a évidemment le défi de la vulnérabilité. De se livrer en public.
Mais comme évoqué plus haut, comment évoquer son histoire sans être réel, authentique, juste ? Quel en serait l’intérêt ? Peut-on raconter une histoire forte et vraie sans en conter les réels méandres, les réels obstacles ?

Et comment connecter avec les autres si notre récit est trop décalé par rapport à ce qui s’est vraiment passé ? Ainsi, j’ai fait le choix de la vérité dans le récit, car c’est de réexpérimenter le réel qui m’intéressait à titre personnel, et car seul le vrai contient la juste note qui touche vraiment les autres.

“L’écriture est un acte de bravoure, c’est se montrer tel que l’on est.” – Anne Frank.

Comment avez-vous géré les aspects légaux ou éthiques, notamment en ce qui concerne les personnes réelles mentionnées dans votre livre ? 

J’ai demandé aux personnes mentionnées si elles acceptaient d’y être, et elles ont répondu oui. Cette partie a été assez simple et fluide pour moi.

– Avez-vous utilisé un journal intime ou d’autres documents pour vous rappeler des détails ? Et comment avez-vous vérifié l’exactitude des souvenirs ?  

Pas vraiment. J’ai surtout utilisé ma mémoire et quelques photos. Cela aurait été une autre approche. Si j’avais tenu un journal intime par exemple pendant mes voyages, il y aurait eu plus de détails et d’émotions du moment. Mais j’ai aimé réaliser cet exercice avec le recul du temps. Les événements s’organisent alors différemment, un peu comme un puzzle de votre vie. Trop utiliser la matière du moment t, écrite dans le passé, aurait pour moi figé son contenu justement dans le peu de recul que j’avais à l’époque.

Ecrire après le temps et sans matière provenant du passé a permis de voir les différentes phases comme les différents points d’un fil, d’une ligne de vie. Cela a permis de tout resituer dans la direction globale d’un parcours. Mais les deux approches me paraissent intéressantes et pertinentes.  

> Vous aussi vous voulez écrire vos mémoires : Comment écrire ses mémoires

Sophie Grégoire écriture autobiographie portrait.

Quel a été l’impact de l’écriture autobiographique sur votre vie personnelle ? 

– Je pense qu’écrire cette autobiographie a vraiment libéré des émotions, des énergies, qui restaient contenues. L’écriture autobiographique est thérapeutique dans le sens où elle permet à l’auteur de donner du sens voire de sublimer son passé. Ses propres méandres deviennent le fil d’une histoire. Le simple acte d’écrire, c’est-à-dire de laisser un contenu ou une émotion aller à l’extérieur de soi guérit car ainsi le poids, ou l’incohérence, n’est plus en nous — mais sur le papier.

Ecrire ce récit de vie m’a permis de revenir en arrière, de démêler des fils que je n’aurais pas démêlés autrement. Paradoxalement, revenir sur le passé nous permet d’y voir plus clair et ainsi d’aller de l’avant. De passer à une autre étape. Faire un bilan permet de changer de phase.

Par ailleurs, être en capacité de dire, sans excuses, sans fragilité, « voici ce que j’ai fait et qui je suis » aux personnes qui ne me connaissent pas, ou à mes proches, est une manière de s’aimer en profondeur. De s’autoriser à être extérieurement qui nous sommes à l’intérieur. S’autoriser à être « publiquement » qui on est en vérité, est un acte d’amour de soi extrêmement puissant.

Pour ces deux raisons, l’écriture autobiographique – écrire sur soi – c’est se rendre plus libre. Plus libre d’être soi, d’être authentique. Plus libre de son passé. En écrivant sur sa vie on reprend la main sur ce qui a été. On y donne cohérence et forme. Le passé n’est plus une suite de circonstances mais quelque chose dont on tenait les rênes.

D’un instant marquant, on fait un poème, on brode un tableau imagé. On a repris le contrôle, la maitrise. Nous n’avons pas subi : au contraire, nous écrivons, nous réalisons l’acte d’écrire, cette déclaration courageuse envers le monde. Nous redevenons l’auteur de notre vie.

– Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut écrire son autobiographie et se lancer dans l’écriture autobiographique ? 

“L’écriture n’est pas une fin en soi, elle est la nostalgie d’un ravissement.” – Yasmine Reza
Croyez en vous ! Nous avons tous des histoires fascinantes à raconter. Des histoires qui peuvent aider, inspirer, consoler. Ne vous demandez pas si vous avez quelque chose à dire. C’est indéniablement déjà le cas.
Ne cherchez pas à être impressionnant, ou trop différent. Ce sont les réelles circonstances de votre vie qui sont impressionnantes car elles sont vraies, et c’est le fait que vous soyez comme nous tous qui fait qu’on aura envie de vous lire.
Alors, plongez-en vous-même. Retournez en vous. Ecrivez ce que vous avez ressenti.
Que votre vie soit une aide, ou un message, ou un espoir, pour quelqu’un d’autre. Choisissez les étapes clefs, faites un plan sur cette base, puis chaque jour plongez dans une phase comme un acte sacré d’introspection.
Revenez-y jusqu’à ce que ce soit vous, jusqu’à ce que cela soit plein, jusqu’à ce que cela soit juste.

> Pour aller plus loin, lire Comment écrire son autobiographie

Comment avez-vous géré la publication et la promotion de votre autobiographie ? 

– J’ai envoyé mon texte à plusieurs maisons d’édition à compte d’auteurs, et il a à chaque fois été retenu. Préférant essayer de trouver une maison à compte d’éditeurs, j’ai décidé de publier avec Librinova qui permet aux jeunes auteurs de bénéficier de nombreux services d’édition et de promotion, et potentiellement d’être repéré par de plus grandes maisons.

Ceci étant dit, mon parti-pris fut toujours de ne pas changer mon approche d’écriture dans le but d’être publiée par une plus grande maison. Ce texte est trop important pour ne pas être authentique.

A chaque étape, il s’agit d’être sur(e) que, même si nous n’avons que peu de lecteurs, ce seront les bons pour nous. Que notre texte sera le moyen de connexion aux personnes avec qui nous étions censées nous connecter. Plus le texte est authentique, plus la connexion sera juste. Du moins, c’est ce que je crois. Ainsi, j’ai choisi de ne pas changer mon approche pour plaire au plus grand nombre. Quelque part, ce positionnement est un bon témoignage du parcours décrit dans le récit.

Recueilli par Sylvain Sismondi

Pour commander et lire l’autobiographie de Sophie : La nuit aux bougainvilliers   

 

1 Commentaire

  1. Bonjour, j’ai beaucoup écrit, mes mémoires et hisgoires vraies, romançees mais aussi des guides avec des conseils préventifs pour affronter la vie. En quelque sorte creer une école de la vie pour tous les âges en guides et BD etc..pour qui veut se joindre a moi! Contactez-moi

    Réponse

Trackbacks/Pingbacks

  1. Écrire un livre sur sa vie : Ce que vous devez savoir - […] > Témoignage de Sophie Grégoire  […]

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *